Les artisans de l’Orient-Express

janvier 2021

Exception / Gestes

En 2011, soucieux de préserver le patrimoine ferroviaire et l’art du voyage que la Compagnie Internationale des Wagons-Lits avait su révéler, le groupe SNCF rachète 7 voitures historiques construites dans les années 20 et confie à sa filiale Orient Express leur restauration complète. L’aménagement et les décors sont alors confiés à des artisans d’art d’exception.

 

Photographe : Lola Hakimian

Fauteuil pour popotins

24. C’est le nombre de fauteuils que compte la voiture n°451 Etoile du Nord. Une voiture Pullman avec salon principal et deux coupés 4 places à chaque extrémité. Construite en 1929 par les Entreprises industrielles charentaises d’Aytré, sa décoration – incluant des parois lambrissées en loupe de bouleau de Norvège incrustées de marqueteries exotiques – fut confiée à René Prou.

 

Choisie pour la réalisation de nouveaux exemplaires de fauteuils, la Manufacture Besse, qui fabrique des meubles de style depuis 1979 et restaure les grands classiques Louis XIII jusqu’aux sièges Art Déco, se lance. Installé au cœur de la vallée de la Meuse, entouré du bois des grandes forêts vosgiennes, le fondateur, Jean-Pierre Besse s’est associé à son fils. Les deux se complètent, l’un porteur d’un savoir, le second de la rigueur. Ensemble, ils collaborent auprès des architectes, des grands hôtels de luxe, des théâtres – l’Opéra Comique récemment – ou des grands restaurants à l’instar du Fouquet’s.

 

Avec les plans et documents d’archives fournis par Orient-Express, le duo met sur pied sa meilleure équipe. Une quinzaine de femmes et d’hommes artisans, tous attelés à la dizaine d’étapes menant au contretypage des fauteuils. Débit de bois, sciage, rabotage, corvoyage, assemblage, ponçage, vernissage, patine et tapisserie. Objectif de l’opération : répéter à l’identique, comme avant, confondre l’ancien du neuf.

 

« Large. Confortable et droit, mais jamais trop incliné. ». De l’application de cette équation dépend le confort des voyageurs selon Jean-Pierre Besse. Equipés de ressorts en mousse, comme dans les années 20, les fauteuils à oreilles se couvrent du même tissu de style Art Déco qu’il y a un siècle, tissé en Angleterre et répondant aux normes anti-feu. « Des ouvrages, qui immergent dans l’histoire des légendes du patrimoine français. Et qui font toujours rêver : 9 personnes sur 10 qui entrent dans notre showroom veulent poser leurs fessiers dans les fauteuils de l’Orient-Express ».

 

Manufacture de sièges Jean-Pierre Besse, Entreprise du Patrimoine Vivant à Neufchâteau. www.jp-besse.com

Lampes haute-couture

3. C’est le nombre d’heures nécessaires à la fabrication d’un abat-jour ciglé Orient-Express. On en compterait plus d’une quinzaine par voiture. La voilure tendue, légèrement bombée ou intégralement plissée à l’instar des voitures-restaurants et couverte d’un coloris vieux rose inchangé.

 

Appelé pour reproduite et rénover les lampes Art Déco des nouvelles voitures Orient-Express, l’Atelier Hugues Rambert et son capitaine Philippe Rabane, met en selle sa quinzaine de couturières. Habitués aux collaborations avec l’univers du luxe – Baccarat, la Cristallerie Saint-Louis, le Ritz Paris…-, l’architecture d’intérieur et la restauration, les ateliers situés à Vichy au cœur de l’Auvergne, et labellisés Entreprise du Patrimoine Vivant, font valoir leurs techniques artisanales. Des gestes manuels exclusivement. Les mêmes qu’il y a 50 ans.

 

Reprenant à l’identique les modèles de lampes des trains, les couturières glissent entre leurs mains la même soie qu’utilisée autrefois, un fil français en provenance de Saint-Etienne. A la coupe des premiers tissus, s’enchaînent le piquage, le montage. Tendu sur sa carcasse, l’abat-jour prend forme, l’épreuve du galonnage conclue l’exercice. L’ampoule délicatement vissée, une lumière douce éclaire chaque table en bois précieux.

 

« Plus qu’un simple accessoire, l’abat-jour est un accessoire de mode. De sa réussite dépend le savoir-faire de femmes et la qualité des métiers, pense Philippe Rabane. Notre travail n’a pas de limite. Le sur-mesure permet d’envisager toutes les dimensions. Avec Orient-Express, nous participons au rêve de milliers de gens qui veulent découvrir le train au plus proche de sa légende. Tel qu’il était avant. »

 

Atelier Hugues Rambert, Entreprise du Patrimoine Vivant à Creuzier-le-vieux. www.huguesrambert.com

La marqueterie, tout un art

17 et 18. Comme les siècles qui glorifièrent la marqueterie. Un art magnifié par les maîtres ébénistes d’André-Charles Boulle à Riesener ou Oeben, et qui s’invita dans les plus belles voitures de l’Orient-Express en partie grâce au décorateur René Prou.

 

Diplômé de la juste Ecole Boulle, et formé auprès des grands maîtres de la discipline – Pierre Ramond, Gilbert Malcourant entre autres -, Philippe Allemand crée son propre atelier d’ébénisterie d’art en 1985 à Issoire, en Auvergne. Passionné, il collabore pour restaurants et nombreux particuliers, choisit d’enseigner son précieux savoir aux prisonniers du centre pénitencier d’Issoire, et transmet finalement à son fils Grégoire, tous les secrets et techniques d’une discipline en voie de disparition.

 

Confiées à l’artisan, les 7 voitures de l’Orient-Express seront déshabillées une à une. Une mission où toutes les boiseries et panneaux en marqueterie seront rénovés ou reproduits à l’identique dans les ateliers d’Issoire à partir de la collection de placages en bois anciens et rares. Pour recréer le décor originel du fameux Train Bleu – des marqueteries de bouquets de fleurs en paillettes d’argent et roses de pâtes de verre Lalique – l’atelier teste et choisit 5 artisans. Du bureau d’étude aux ateliers des ébénistes, des marqueteurs et vernisseurs, l’équipe œuvre à la tache pendant plus de deux ans.

 

« La marqueterie nécessite de la patience et de la science. Imaginez un grand puzzle à assembler dont vous devrez construire chacune des pièces, raconte Philippe Allemand, avec un challenge à relever : montrer un tableau donnant l’impression qu’il n’a jamais été découpé ». Conscients de la rareté de leur savoir, les marqueteurs père et fils oeuvrent aujourd’hui à la réhabilitation de la marqueterie. Leur première collection Le Héron, qui décline l’artisanat à la mode contemporaine, devrait inspirer de nouveaux esprits.

 

Atelier Philippe Allemand, Entreprise du Patrimoine Vivant à Issoire. www.atelierphilippeallemand.com

Partagez cette histoire sur...

Copied!
Haut de page