Christoph Niemann : « le train transforme le chaos en moment de poésie »
Rencontre / Secrets
High-Life invite à découvrir sa communauté de Travelers. Des personnalités de tout horizon, dont l’expérience de voyage nourrit l’âme et ouvre les esprits. Premier invité : le dessinateur Christoph Niemann.
Illustrateur : Christoph Niemann
Photographe : Matthew Prisley
Sous le crayon de Niemann
À la fois artiste, illustrateur et auteur, l’allemand Christoph Niemann livre depuis une vingtaine d’années ses meilleurs croquis en couvertures de The New Yorker, National Geographic et The New York Times.
Des dessins réalisés en live depuis la Biennale de Venise, les Jeux Olympiques de Londres ou le Marathon de New-York à ses collaborations auprès des grandes maisons – Hermès, The Museum of Modern Art, Paul Smith… Christoph Niemann croque le monde avec élégance, ironie et humour. Nourri et constamment inspiré par le monde, il dévoile pour High-Life sa série de voyages illustrés.
Christoph Niemann vient de sortir « Pianoforte » aux ed. Abstractometer Press. Une leçon de piano aux notes graphiques et drôles.
High-Life : Train ou avion ?
Christoph Niemann : Prendre le train est la meilleure façon de voyager. Je peux vous énumérer tous les points positifs – être libre de penser, pouvoir lire, contempler à travers les fenêtres, aller et virer… – mais la principale raison est purement subjective : je suis un fanatique des trains. J’adore les stations de gare et j’adore par-dessus tout l’idée qu’un train puisse transformer un monde en désordre complet en un moment poétique.
HL : Jour ou nuit ?
Christoph Niemann : Le seul train de nuit que j’ai pu emprunter était celui qui traversait les Alpes, partant d’Allemagne jusqu’en Italie, une expérience magique. J’ai récemment réalisé « Night Train », un dessin illustrant un article merveilleux d’Antony Lane paru dans le New Yorker. Un papier à la fois beau et hilarant racontant quelques souvenirs épiques sur les trajets longue distance en train.
HL : Bavard pendant le voyage ?
Christoph Niemann : Normalement, non. Je me suffis à mes propres pensées. La rencontre se passe vraiment une fois arrivé à destination.
HL : Votre technique pour capturer l’instant ?
Christoph Niemann : Mes illustrations à l’encre demandent une surface totalement plane pour être réussies. Je ne dessine donc quasiment jamais sur la scène que je vais illustrer. Lorsque je me promène autour d’un point ou d’un lieu inspirant, je prends généralement quelques photos et jette parfois un coup de crayon rapide. C’est en général un moment très particulier, souvent en fin d’après-midi, au retour d’une balade et quelques heures avant le dîner. L’immersion dans un espace doit être suffisamment fraîche dans mon esprit pour illustrer.
HL : Comment raconter un endroit vu des millions de fois ?
Christoph Niemann : Les dessins qui fonctionnent le mieux sont ceux dont les lecteurs sont familiers avec l’endroit. Ils invitent à plusieurs degrés de lecture. Et leur effet est plus proche du registre de l’écriture que de la photographie. Ils sont supposés débloquer des émotions, réactiver des souvenirs que les lecteurs ont gardé quelque part dans leur cerveau. Si j’ai besoin d’expliquer pleinement à quelqu’un – par exemple à quoi ressemble Angkor – une simple photo en haute résolution sera la meilleure option. Avec l’illustration, le but est différent. Il s’agit de montrer exactement ce que l’on ressent au moment vécu ou présent. Mais contrairement à la presse, j’imagine ces dessins de voyage juste pour moi-même. Je n’essaie pas de raconter une histoire en particulier ou de convaincre quelqu’un de quelque chose. C’est un mélange d’éléments subjectifs que j’essaie de rendre visibles à travers mes mains et mes outils.
HL : Où voyagez-vous ?
Christoph Niemann : Je suis ouvert. Ma femme – qui est historienne de l’art – trouve les destinations. La seule chose que j’ai compris est que je me fiche complètement de ce qui peut paraître banal dans un voyage. Les gens obsédés par le voyage atypique ou par l’adresse qu’on ne trouve pas dans un guide, ce n’est franchement pas mon truc. Bien que le Taj Mahal se trouve dans tous les carnets de voyage sur l’Inde, je continuerai à penser que c’est la première chose que je voudrais aller voir. J’ai voyagé maintes fois à Paris et pourtant je ne peux m’empêcher de prendre le métro jusqu’à l’Arc de Triomphe et de descendre les Champs-Elysées.
HL : Si les valises n’existaient pas ?
Christoph Niemann : Un passeport, un téléphone, mes encres et pinceaux, une carte de crédit me suffisent. Tout le reste peut être acheté sur place si besoin.
HL : La crise changera-t-elle votre façon de voyager ?
Christoph Niemann : Je crois que c’est encore trop tôt pour faire quelconque prédiction à ce sujet. Mais je suis persuadé que oui.
HL : Votre prochain voyage ?
Christoph Niemann : Pour la première fois, je n’ai aucun plan.
HL : Le voyage sans retour ?
Christoph Niemann : Un mouvement lent, et la possibilité d’arrêter tout lorsque je l’aurais décidé me conviendrait bien. Une autre idée ? Une longue, longue marche avec autour de moi, un bureau pour dessiner, un piano et un très bon restaurant à chaque kilomètre.
HL : En l’An 2869, vous voyagerez…
Christoph Niemann : Si tout va bien, j’embarquerai encore dans un train d’une gare démodée, je prendrai un café juste avant le départ, regarderai l’océan ou les montagnes par la fenêtre… tout en évitant soigneusement de croiser vaisseaux spatiaux, extra-terrestres et robots.