Eloge du peignoir

mars 2021

Accessoire / Culte

Robe d’intérieur ample, fluide, portée au masculin comme au féminin, le peignoir reprend ses esprits au sortir du bain comme à l’heure des cocktails. Anatomie d’un vêtement de voyage par excellence. Par Pierre Léonforté.

Il est des évidences qui parfois décoiffent. Celle du peignoir, par exemple. Pourquoi un tel nom quand il y en avait une ribambelle mieux adaptée ? Ainsi de manteau d’intérieur, de veste de chambre, voire de déshabillé. Car si le peignoir est ainsi dénommé, c’est qu’il découlait d’un usage précis consistant à peigner sa chevelure. Un geste de toilette à la fois personnel et laissé à la dextérité d’une domesticité engagée à cet effet. Pour ce faire, on glissait sur les épaules des gens nés coiffés un linge plus ou moins ample afin d’épargner leur vêture du jour comme du soir de tous les désagréments capillaires possibles, notamment ceux qui avaient la fâcheuse habitude de choir. Comme il existait déjà un peignoir, trousse dans laquelle on rangeait, dument nettoyés, peignes de toilette et peignes de parure en os, ivoire et autre écaille de tortue, on aurait pu franchement inventer autre chose. Mais non. Peignoir, ça dit bien son rôle. Surtout pour les chauves.

 

Sans quitter les épaules, le peignoir glissera de sa fonction para-capillaire à celle, plus raffinée, plus hédoniste, de la robe d’intérieur, souple, blousante, plaquée de deux vastes poches, dotée d’un col châle et ceinturée à la taille. Bien née, noble comme bourgeoise, la robe d’intérieur était inscrite au trousseau féminin. Son pendant masculin, hâtivement baptisé robe-de-chambre, sera hélas vite rattrapé et stigmatisé comme le vêtement des pantouflards, des retraités frileux et des flemmards patentés. Exit la robe-de-chambre, trop connotée laine des Pyrénées, faveur à la veste d’intérieur, plus smart, plus british, plus chic car plus soyeuse, plus fluide. À ranger au vestiaire des messieurs adeptes du foulard noué au col et de la mule en velours burgundy. Cette image de dandy proustien finira, un beau jour des années 1960 enfin cassée par la réclame de l’Eau Sauvage de Dior, illustrée par Gruau. Juste une paire de jambes poilues chaussées de mules noires et le bas de ce que l’on identifiera illico comme un peignoir de bain en éponge blanche. Plus tard, il n’y aura même plus de peignoir : l’homme de l’Eau Sauvage, nu, traversait l’affiche, un drap de bain blanc posé sur l’épaule. Quant à Pierre Cardin dont les peignoirs en éponge de couleurs se vendaient dans le monde entier, il posera nu, juste ceint d’une de ses serviettes logotypées, en couverture du magazine Time. À la peine le peignoir.

Pendu à son crochet, suspendu à son cintre, oublié, les poches vides et le col en berne, le peignoir épongera en silence pendant longtemps, sa disgrâce. Il faudra le succès planétaire de la série Hercule Poirot avec David Suchet pour le sortir de son purgatoire. Soyeux, gansés, chamarrés, exotiques, orientalistes, chinoisants, les peignoirs de Poirot participeront de son image, au même titre que sa moustache lustrée au baume de Hongrie. Au cinéma, les peignoirs les plus spectaculaires, les plus sexys, resteront ceux portés par Rudolf Noureev dans le biopic Valentino, tourné par Ken Russell, et celui endossé par Sylvester Stallone dans Rocky. Quand il n’alimente pas une fantasmagorie stylistico-sportivo-sensuelle, le peignoir occupe essentiellement une place dédiée au bain. Avec l’hôtellerie pour tropisme. Si spa en sus, bonus éponge garanti. Mais d’une autre couleur. On ne mélange pas les torchons avec les serviettes. Sauf quand c’est Julia Roberts qui s’y love dans Pretty Woman et aussi dans Prêt-à-Porter.

 

Accessoire essentiel à tout room-service digne de ce nom dès lors qu’on pénètre la galaxie des hôtels 4-5* et Palace, le peignoir est une gâterie textile dont les défauts ou les qualités font que, mieux gardé que le Saint Suaire à Turin, il se dérobe systématiquement et, en particulier, à tous ses devoirs. Col châle ou capuche, poche poitrine ou dos brodé, toujours ceinturé, jamais boutonné, le peignoir d’hôtel est génériquement blanc, parfois champagne, souvent en grosse éponge bouclée, parfois en coton nid d’abeille, mais jamais au grand jamais à la bonne taille. Enfilé par un gabarit poids-moyen, même un peignoir XXL aura toujours l’air d’une liseuse sur un yéti. Endossé par une taille XS:  c’est parti pour une sortie de douche à la Simplet, le nain de Blanche-Neige qui se prend les poulaines dans l’ourlet de sa chasuble. Se souvenir ici de l’apparition de Michel Blanc, alias Jean-Claude Dusse, dans Les Bronzés, vêtu d’un immonde peignoir jaune et en mode drague lourde, face à Marie-Anne Chazel et Dominique Lavanant, glapissant le fameux “Il a un malaise le peignoir?”. Autrement, le peignoir touche le fond de l’inconfort quand, ceinturé sous la poitrine façon taille Empire, il renvoie illico à une Joséphine-au-bain peinte par Prud’hon. Ce qui collera parfaitement au style des robes régence de La chronique de Bridgertone que s’arrachent les fans de la série.

 

Dans ces conditions générales, on se demande bien pourquoi l’occupant d’une chambre d’hôtel s’acharne tant à vouloir y chaparder le peignoir. Lequel, objet de toutes les grivèleries, a fini par être surtaxé au prix d’un trench Burberry. Quand il n’est pas suspendu derrière la porte de la salle-de-bains, le peignoir d’hôtel est sagement plié sur le lit avec sa paire de mules assorties. Trois fois sur quatre, le peignoir reste là où il est. Intouché, intouchable. Il arrive aussi que le peignoir ne soit pas. De récentes affaires indécentes en ont fait une victime textile collatérale sur le mode #balancetonpeignoir. Quant à se peigner vêtu d’un peignoir de bain en éponge alors qu’on est habillé, autant se brosser…

 

Par sa fonction et son encombrement, le peignoir en éponge dit de toilette, exige qu’on le dompte, sinon, il devient mal-élevé, fourbe, incontrôlable. Il taillade les aisselles, il baille quand il ne faut pas, il desquame mieux qu’un scrub de la Mer Morte au gros sel de l’Oural, il ne sèche rien et reste humide des heures durant jusqu’à se retrouver couvert de mousse verte sur la face nord. Le peignoir a aussi la fâcheuse habitude de perdre sa ceinture. Ce qui dénonce son impudeur. Rien de tout cela avec un vrai peignoir d’intérieur, toujours doté d’agrafes ou de boutons invisibles. En soie imprimée foulard, brodé de dragons chinois, le gaillard sait se tenir et sait recevoir. Même si en négligé-de-soi(e). En été, faveur au coton imprimé comme ceux, courts et impeccables, qu’on emporte en souvenir après un voyage mémorable à bord d’Orient-Express passé à (re)lire La Madone des Sleepings. Ou un Agatha Christie de circonstance comme l’Homme au Peignoir Marron. OuPeignoir sur le Nil.

 

 

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